— Merlin, ne crois-tu pas qu’il aurait été plus judicieux de révéler à ce jeune homme ce qu’il est vraiment ? De t’en charger toi-même plutôt que de le garder dans l’ignorance à l’aube de ces beaux jours ? Regarde-le, on dirait un sans-don.
Merlin garda le silence un instant, puis continua à fixer Zayn à travers la fenêtre, emmitouflé dans ses couvertures. Il souffla, puis finit par avouer :
— Il en vaut mieux ainsi. Il finira par savoir la vérité, et ce jour-là, il n’aura plus le choix. J’aime à savoir qu’il peut encore avoir l’illusion de pouvoir choisir sa propre voie. Le cours des choses prend un tournant effrayant. Les Terres Infinies deviennent de plus en plus difficiles à pratiquer, Terre Magique est en ébullition. Les gens ont peur.
L’homme en noir coupa brusquement la parole :
— Et ils ont raison. Tu parles des hommes comme si tu n’en étais pas un, dit-il, une rafale de vent sec et chaud ponctuant sa remarque.
— Nous avons juré de rester en retrait.
— Mais eux ne se gêneront pas pour sortir de l’ombre au moment propice, Merlin.
L’homme en noir s’appuya sur Merlin, comme pour chercher à détourner son regard du jeune homme dormant dans la chambre. Il passa sa main autour de son bras et la pressa :
— Argos, nous sommes le pont entre les hommes et les… Il hésita un instant puis reprit, et sans nous, qui pourra… ? hésita-t-il en plissant les yeux.
— Tu te caches derrière tes idéaux, coupa Argos. Bien qu’ils soient nobles, il faudra tôt ou tard sortir de l’ombre et se montrer aux yeux de tous. Terre Magique se retrouvera acculée, une guerre se prépare, et celle-ci sera sanglante. Il faut étouffer l’embryon dans l’œuf !
Merlin souffla de manière désinvolte, puis tourna le visage et fixa Argos intensément :
— Et que ferons-nous lorsque les haut-elfes fermeront les portes des Terres Infinies ? Le monde connaîtra ses heures les plus obscures. L’autre faction pourra circuler librement entre nos mondes, plus aucune route ne sera sûre. Plus RIEN ne sera sûr.
Argos finit par céder. Il s’éleva d’un mètre dans les airs, fixa le ciel et ajouta, dépité :
— Alors tout repose vraiment sur les épaules d’un jeune poussin qui ne sait même pas encore qu’il a des ailes.
Merlin sourit et déclara :
— Les choses n’en sont que plus excitantes, mon vieil ami. Nous sommes contraints de profiter du spectacle.
— Comment peux-tu être si sûr de sa victoire ? répondit Argos, dégoûté par la réaction de son compagnon.
— Il triomphera, ajouta aussitôt Merlin. Il sera seul, mais il triomphera.
— On croirait entendre César, si fier, si sûr de soi… et pourtant, il n’a toujours pas compris que Rome n’est plus la capitale du monde.
Merlin éclata de rire et disparut. Argos fixa un moment le jeune homme, dégoûté par la tournure de la conversation. Il voulait briser cette vitre et emmener ce garçon avec lui. Mais il ne pouvait pas… Merlin était fou, ça il en était sûr. Mais malgré ce que pouvaient dire les autres de lui, une pointe d’espoir venait nuancer ses sombres pensées. Ce garçon pouvait triompher, oui… C’était possible, mais les chances étaient si infimes qu’il ne pouvait taire son envie de le prendre avec lui, même s’il savait qu’il ne le ferait jamais. Les fumées de la guerre guettent l’horizon, et celle-ci sera d’une brutalité sauvage. Il faudra se battre bec et ongles pour sauver ce qui en vaut la peine. Argos soupira en se prenant la tête entre les mains et disparut à son tour.
Zayn se retourna brusquement en bâillant. Il plissa les yeux dans la pénombre, essayant de distinguer par-delà la vitre le ciel couvert. Il se leva et s’assit sur le bord du lit avec effort. Il aurait juré avoir vu une silhouette en se réveillant. Il n’était pas du genre à avoir peur, puis une silhouette qui flottait dans les airs à quatre étages du sol, ça ne pouvait pas exister, même à Paris. Et Dieu seul sait combien de choses bizarres on pouvait rencontrer dans les rues parisiennes.
Au bout d’un quart d’heure, il finit par souffler et se recoucha. La journée de demain allait être difficile. Il fallait qu’il retrouve le sommeil. Cependant, il était curieux : il ne pouvait arrêter de penser à cette silhouette. Il continua à penser à cette rencontre nocturne, se persuadant que ce n’était qu’un rêve, jusqu’à ce que le sommeil finisse par l’emporter.
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